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Olivier ANDRAU - le blog

Blog politique. Expression d'un élu de Gauche de La Seyne-sur-mer, Var, République Française.

Criminalisation de la maladie mentale, une tragique bévue.

Lors de la mise en place du conseil en santé mentale cette année, j’ai eu l’occasion de discuter du sujet avec un collègue élu à la santé d’une ville de la même importance que La Seyne. J’expliquai la pertinence du dispositif et en quoi il permettait une meilleure coordination et une meilleure connaissance de la population souffrant de maladie mentale sur le territoire de la commune. Je fus choqué à l’époque de constater que la première réaction de ce collègue fut de faire le lien avec la police municipale de sa ville, comme s’il était naturel de penser que maladie mentale signifie danger ; le malade mental n’étant dans l’esprit de mon homologue, envisagé uniquement que comme un violent pathologique en devenir. Je mis ces idées reçues sur le compte de l’inexpérience de ce collègue élu et sur le peu de curiosité intellectuelle dont il faisait preuve.

 

Mais aujourd’hui les mêmes raccourcis sont faits au plus haut niveau de l’Etat, c’est nettement plus inquiétant. Voilà deux jours que le ministre de l’intérieur, attentats obligent, témoigne d’une énergie, tout à fait souhaitable, et d’une inventivité parfois beaucoup plus regrettable, pour lutter contre le terrorisme. En effet le « Premier policier de France » dans une interview sur France Info envisage de « mobiliser l'ensemble des hôpitaux psychiatriques et les psychiatres libéraux de manière à essayer de parer à cette menace terroriste individuelle ».

 

Mais de quoi parle-t-on ? Les médecins psychiatres, déjà,  ne sont pas tenus par le secret médical dès lors qu’il est question de la commission de crimes. Le délire d’un paranoïaque ou d’un schizophrène en période de crise fait-il forcement de lui un terroriste en devenir ?

 

C’est faire insulte aux malades mentaux que de faire l’amalgame entre criminalité et maladie mentale. Cela rappelle malheureusement d’autres épisodes passés de l’Histoire où des régimes autoritaires utilisèrent cet artifice. Car il ne s’agit de rien d’autre. En effet il faudrait être tragiquement inculte en matière de santé mentale pour faire sérieusement le raccourci entre terrorisme et trouble psychique, ou alors redoutablement cynique et démagogue, à tout le moins hypocrite.

 

Dans tous les cas cette mesure, si elle venait à être concrétisée par les autorités, serait une tragique bévue car elle contribuerait à stigmatiser les personnes souffrant de troubles psychiques et à fragiliser le patient travail des psychiatres et infirmiers hospitaliers notamment, dont on connaît les difficultés liées aux restrictions budgétaires imposées depuis trop d’années. Ils sont les parents pauvres de notre hôpital public. Il suffit de visiter une unité psychiatrique comme j’ai pu le faire récemment, pour constater les efforts des personnels, la précarité de leurs services et le manque de moyens qui les frappent.

 

J’ai le sentiment qu’il serait un peu plus pertinent de donner les moyens aux hôpitaux de fonctionner, aux associations du champ sanitaire comme les groupes d’entraide mutuelle de vivre et développer leur activité autour du patient psy. Mais il semble que ce ne soit pas la priorité quand on voit les budgets des hôpitaux fondre, quand on supprime des contrats aidés aux associations, quand on assèche les finances des collectivités…

 

Je pense que ces mesures expéditives, inefficaces, frappées au sceau d’un bon sens à la vue courte relèvent de l’escroquerie intellectuelle. En vérité, comment accepter que les djihadistes soient produits par notre système, par notre mode de vie ? C’est bien là le seul point commun que je concèderai entre psychopathologie et violence fanatique : nous les portons en nous, elles proviennent de notre normalité, elles sont en partie le fruit de notre organisation sociale ; mais il nous est difficile de l’accepter et l’on préfère entendre « fou du village » (ou fada comme on dit par chez  nous) pour le malade mental et « monstre » pour terroriste. Ce serait tellement rassurant de se dire « ceux sont des monstres, ce sont des fous, ils ne sont pas comme nous. » La solution serait tellement facile : « il suffit de les bourrer de comprimés, de les enfermer, ainsi de les « effacer». C’est sûrement plus rassurant mais c’est tellement faux car la réalité est tellement plus complexe. Preuve en est l’échec patent du centre de « déradicalisation » ouvert voilà moins d’un an et déjà fermé. Preuve en est les chiffres ahurissants de la population carcérale touchée par des troubles psy (au moins 25%). Preuve en est la consommation record de psychotropes en France.

 

Alors que faire ? Et bien déjà ne pas céder aux « raisonnements » à court terme, analyser les raisons sociales et économiques, et puis lutter contre cette précarité, cette souffrance qui brise les espoirs de la jeunesse et qui contribue parfois, rarement, mais toujours trop souvent, à la pousser dans les bras des fanatiques.

 

Pour cela il est besoin de proposer un cadre de vie sécurisant, permettant l’épanouissement des personnes et ce faisant l’ouverture bienveillante de leur regard vers les autres et leur monde. J’ai la faiblesse de croire que cela passe par une intervention volontariste et protectrice de l’État, à rebours de l’uber-économie et du précariat qui se dessine dans les lois travail à venir.

 

http://www.francetvinfo.fr/monde/espagne/barcelone/terrorisme-signaler-toutes-les-personnes-qui-ont-des-profils-psychologiques-troubles-n-est-pas-possible-assure-un-psychiatre_2337161.html

 

http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/08/21/les-psychiatres-n-ont-pas-vocation-a-collaborer-avec-le-ministere-de-l-interieur_5174728_3232.html

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